samedi 16 septembre 2006

Chacun ses tartares

Il y a peu j'ai terminé la lecture du roman Le Désert des Tartares de Dino Buzzati.
C'est l'histoire du jeune militaire Drago qui, pour sa première mission, est assigné au fort Bastiani. Ce fort est planté au milieu d'un désert et défend la frontière contre les Tartares.
Drago est vite déçu de l'emplacement de ce fort. Il ne pense qu'à être muté, en tous cas au début. Et puis une force mystérieuse l'empêche de partir. Il y restera des années en attendant les Tartares. Il veut de l'action... la guerre en somme. Mais ils ne viennent jamais.

Au bout de quatre ans de fort, il a une permission de quelques jours qu'il va passer dans sa ville. Il va enfin revoir sa famille, ses amis, sa petite copine...

Inutile de dire que les choses et les gens ne sont plus comme il les a quittés. Et même si tout semble inchangé... "le temps et la distance [avaient] tissé un voile de séparation".
Quelques extraits :

A son arrivée :

Tel un étranger, il erra par la ville, à la recherche de ses anciens amis, et il apprit qu'ils étaient tous très occupés, dans les affaires, dans les grandes entreprises, dans la politique. Ils lui parlèrent de choses sérieuses et importantes, d'usines, de voies ferrées, d'hôpitaux. L'un d'eux l'invita à dîner, un autre s'était marié, ils avaient tous pris des routes différentes et, en quatre ans, ils étaient déjà loin. Il ne parvenait pas (mais, lui aussi, peut-être, n'en était plus capable) de faire renaître les conversations de jadis, les vieilles plaisanteries, les expressions convenues.

La rencontre avec son ex-petite copine :

Non, Drogo ne la trouvait pas changée, il était même surprenant qu'en quatre ans une jeune fille ne se fût pas transformée, du moins visiblement. Pourtant il éprouvait une vague impression de déception et de froid. Il ne parvenait plus à retrouver le ton d'autrefois, lorsqu'ils se parlaient comme un frère et une soeur et qu'ils pouvaient plaisanter à propos de tout sans se heurter. Pourquoi se tenait-elle avec tant de réserve sur le sofa et pourquoi parlait-elle avec si peu d'abandon ? Il aurait dû la tirer par le bras, lui dire : « Mais est-ce que tu es folle ? Qu'est-ce qu'il te prend de jouer ainsi les grandes personnes ? » Le glacial enchantement eût été rompu.
Mais Drogo ne s'en sentait pas capable. Il avait devant lui un être différent et nouveau, dont les pensées lui étaient inconnues. Lui-même, peut-être avait-il été le premier à prendre un ton faux.


Toute personne qui me connait sait à quel point cette histoire a des similitudes avec la mienne. J'ai quitté la France et les amis que j'y avais il y a presque trois ans en vue de faire ma guerre contre les tartares, sauf qu'il ne se passe rien. Je vais retourner en France bientôt et même si je continue à prendre des nouvelles par MSN et par Mail, il y aura ce "voile". Peut-être pas épais, peut-être pas grand, peut-être pas longtemps... mais il sera là. Le temps et la distance sont comme des bulldozers, ils ne distinguent rien et il faut faire gaffe pour qu'ils n'écrasent pas tout ce qui est important.

Aucun commentaire: