mardi 23 mai 2006

Derrick, Episode 1, Livraison #1


L'autre jour, j'ai eu l'idée saugrenue d'écrire un épisode de Derrick. Je sais c'est pas très à la mode chez les jeunes de 27 ans, mais bon, c'était pour le fun, alors j'ai décidé de publier tout ça, en petits bouts. Je n'ai jamais regardé Derrick plus de deux minutes. Je ne sais presque rien sur cette série, sauf que c'est lent. Alors j'ai tout inventé, à partir de ce que je savais. Ça me donne l'occasion de m'exercer à l'écriture, j'aime bien ça. S'il-te-plait, public, soit indulgent.

La pièce n'est pas grande et est située au coin de l'immeuble du commissariat du village. Il y a deux fenêtres avec, le dos tourné à celles-ci, assis derrière leurs les bureaux, les deux inspecteurs, Stephan Derrick et Harry Klein. C'était un jeudi. Il était 13h30. Harry établissait minutieusement leurs demandes de remboursement de frais. Derrick crachotait sur un mouchoir en papier afin de pouvoir nettoyer ses chaussures en appuyant son pied sur le tiroir du bas ouvert de son bureau.

Le téléphone sonna. Dring!

Comme d'habitude, Harry répondit.

C'était Jeanine Toutevielle, épouse de Jacques Toutevielle, mère de Daniel Toutevielle.

La famille Toutevielle, que les deux inspecteurs connaissaient bien, habitait une fermette située à deux minutes de là. C'était très grave. Harry avait mis le haut-parleur, Stephan tendait une oreille attentive.

Ce matin, elle est entrée dans son champ avec le tracteur, elle est passée sur le corps d'une jeune fille dissimulée entre de hautes herbes.

"Ces petits cons inconscients, qu'elle criait la mère Toutevielle, ça passe ses nuits à se droguer en boite et puis ça s'étale n'importe où à ronfler !"

Harry lui a dit qu'ils arrivaient et a raccroché (et non pas l'inverse).

Stephan avait entendu toute la conversation et se dirigea vers l'armoire. Harry appelait une équipe technique du district pour recueillir des indices en les invitant à se rendre directement à la ferme des Toutevielle. Stephan mettait dans sa poche des gants et des sacs en plastique pour le cas où il lui faudrait, lui aussi, recueillir les indices sur place, et surtout pour le cas, où les Toutevielle auraient envie de lui donner des oeufs ou des saucissons ou d'autres produits frais comme il était habituel dans ces campagnes.

Harry et Stephan se comprirent sans échanger un seul mot. Ils travaillaient ensemble depuis trente et quelques années. Et surtout, ils étaient fâchés depuis trois mois et demi.

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Le 24 décembre dernier, Harry, voulait joindre Stephan qui était en congé ce jour-là. Il avait appelé la maison - personne – puis le portable de l'épouse de Stephan, Alfreda Derrick. Ils faisaient ensemble les courses dans un centre commercial.

Alfreda entendait mal. Le bruit environnant, la faiblesse du réseau... toute cette agitation...

- Allô, madame Derrick !?
- Je n'entends rien. Je fais des achats avec mon mari... Rappelez plus tard ! criait Alfreda.
- Bon... je vais vous laisser faire vos achats... je rappellerai plus tard... au revoir ! raccrocha Harry.
- Quoi !? se choqua madame Derrick.
- Qu'y a-t-il ma chérie ? s'enquit Derrick.
- C'est un homme... il me... il m'a dit...
- Quoi ? Quoi mon amour ?
- Il m'a dit "et si je venais te lécher la chatte et que tu me pompais le dard" sanglota Madame Derrick.
- Qui t'a dit ça ? se préoccupa Derrick en prenant le portable.

Il tripota les touches... Il n'y comprenait rien à ces appareils, et puis tout ce brouhaha... la lumière... l'agitation... énervé il prit sa femme par la main et la traîna zigzaguant à travers la foule hystérique jusqu'à la sortie la plus proche.

Dehors, elle s'assit sur une borne, essayant de se remettre du choc.

Lui, après avoir chaussé ses lunettes, re-tripota les touches jusqu'à trouver la dernier appel.

RAPPELER

Harry décrocha. Stephan cria "Qu'est-ce qui t'a pris ? Comment tu parles à ma femme ?" Il n'avait jamais entendu son collègue crier, Harry. Jamais en trente et quelques années de partenariat. Ce n'était pas dans ses habitudes de crier, même avec les pires criminels. Mais là c'était sa femme... "Mais, Stephan, c'est moi, Harry ! Qu'est-ce qui se passe ?". Et l'autre de repartir de plus belle en déversant toutes les insultes qu'il connaissait et que nous n'allons pas reproduire ici. Il y avait des mots finissant en "ute", "tain", "ard", "aud", "on" et "je vais te défoncer ta petite gueule de merde !" jusqu'à ce qu'il essaye de raccrocher violemment. En effet, raccrocher au nez de quelqu'un avec un portable c'est bien moins spectaculaire que de poser énergiquement le combiné sur le support. Là il faut chercher le bouton, ça prend du temps, il y a un flottement... c'est moins radical. Un Clic! au lieu d'un Crack!

Le lundi suivant, ils se sont retrouvés au bureau. Harry voulut savoir ce qu'il en était, Stephan à re-déversé un seau d'insultes. Harry, après avoir tenté vainement de s'excuser, de défaire le malentendu (c'était le cas de le dire). Peine perdue, l'autre était buté, Harry a lui aussi envoyé des insultes, et des reproches. Les fois où Derrick enlevait ses chaussures à 21 heures après avoir parcouru à pied des dizaines et des dizaines de kilomètres à la recherche des témoins et des suspects. Les fois où Derrick se curait le nez en réfléchissant. Les fois où Derrick se coupait les poils du nez et des oreilles en période creuse. Les fois où il se tripotait l'entre-jambes au travers de sa poche pendant les interrogatoires... Les fois... les fois... Et puis ses lunettes trop voyantes avec leur monture épaisse d'au moins 2 centimètres et pleines de traces de doigts et de cils ! Pwa!

Stephan voulut lui aussi faire des reproches à son collègue mais ne trouva rien, à part sur la coupe de cheveux, et sa copine de 1978 "Une pouffiasse vulgaire, trop maquillée !!" qu'il disait.

C'était là leur première dispute en trente et quelques années. Il n'y a jamais eu de désaccord entre les deux. Harry ne s'est jamais plaint des "tics" de son partenaire, ni du fait qu'il gagnait plus que lui. Derrick, n'a jamais censuré le manque d'expérience de son collègue ou sa fougue. Pas une critique, pas un désaccord, pas une faute d'orthographe ou de syntaxe sur un rapport ou un P.V., pas un café trop chaud, de l'eau trop froide, un suspect mal appréhendé... rien, que dale. Il a fallut ce mal entendu pour qu'ils se confrontent... enfin. Le pire c'est que Harry voulait juste prévenir Stephan qu'il avait oublié son portable au bureau, qu'il ne fallait pas qu'il s'inquiète... Mais la relation a été altérée par ce moment de vérité. Ils n'ont pas été jusqu'à demander à être séparés. Ils ne se disaient que les choses utiles dans l'accomplissement de leur métier. Tout l'aspect personnel était gommé. Ils avaient mis dix ans à devenir de vrais amis intimes en plus d'être collègues de travail. Ils revenaient à la case départ, les sourires et amabilités en moins.

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Stephan monta le premier dans la voiture, regrettant déjà de s'être donné tout ce mal à nettoyer ses chaussures. Que de salive gâchée ! La campagne n'aime pas les jolies chaussures propres. Harry est allé déposer les demandes de remboursement des frais au secrétariat. Pour ne pas avoir à discuter de qui allait conduire ou pas, ils avaient décidé que Harry conduirait le matin et le soir, Stephan l'après-midi et la nuit, et ils inversaient l'ordre tous les mois. Cette pratique a subsisté malgré leur dispute. C'est aussi depuis leur dispute qu'ils décidèrent de mettre la radio, diffusant de la musique classique et des flash circulation, dans la voiture. Cela dit en passant, des flash qui n'ont pas grand intérêt en campagne. Ils parlent jamais du tracteur ou du troupeau qui bloque la route étroite quand on est pressé.

Ils ont parcouru la distance qui les séparait de la ferme des Toutevielle en trois minutes exactement. La bâtisse était ancienne. Devant, il y avait un petit portail en fer récemment peint en bleu, soutenu par deux colonnes d'environ dix centimètres d'épaisseur. D'un côté et de l'autre de ces colonnes il n'y avait pas la clôture qu'il devait y avoir. Une chaînette pendait sur la colonne de droite. Elle était reliée à une petite cloche située sur porche. Il y avait un petit chemin de terre creusé dans l'herbe entre le portail et le porche, à gauche il y avait deux autres petits chemins, plus étroits, creusés par les véhicules vers la grange. Dans la même direction, un peu plus loin, dans le champ de blé, on pouvait voir le tracteur immobilisé. A droite il y avait un chien, un bâtard attaché à une chaîne, qui avait comme niche, un baril de produit chimique désaffecté.

Stephan a tiré sur la chaînette deux fois. Gling!-Gling!-Gling-Gling! Jeanine et Jacques sont apparus sous le porche. C'est Jeanine qui salua les deux inspecteurs et les invita à entrer. Ceux-ci ont ouvert le portail et sont passés entre les deux colonnes.

Jacques avait les yeux vides. Il semblait sortir d'une immense beuverie. Mais vu son haleine, il devait y entrer plutôt. « Vous avez fait bon voyage messieurs ? demandait Jeanine, oubliant peut-être que seulement dix minutes s'étaient écoulés depuis leur échange téléphonique. »

Les inspecteurs ont fait un vague hmm-hmm, regardant vers le tracteur.

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La jeune victime s'appelait Gwendoline Viouable, fille de Tristan et de Marguerite (dite Maggy) Viouable. Son décès n'avait pas été provoqué par le passage des roues du tracteur sur son thorax, mais par une balle tirée dans son oreille. Elle avait des traces de liens sur les poignets. On a estimé à 22 heures de la veille l'heure du décès. Les Toutevielle étaient endormis devant la télévision “La 2 ou la 3 Daniel ?” se demandait Jeanine. “On rentrait à peine d'amener Daniel à la gare pour qu'il prenne sont train pour la capitale” ajoutait encore Jeanine. Définitivement, ce meurtre était mystérieux, si mystérieux qu'il n'était plus du ressort des deux inspecteurs. Ce fait allait leur épargner la tache difficile d'annoncer la nouvelle aux parents. Ils l'avaient fait trop de fois dans leur carrière.

Ils étaient en route vers la base dans leur voiture au son de la radio, quand ils ont été ralentis par une machine agricole très fumante. Ils faisaient du 20 à l'heure.

Soudain, un sourire commença à illuminer le visage de Harry. Stephan, quand il l'eût aperçu, il se demanda si c'était pour se moquer de lui. Déjà il se remémorait toutes les phrases qu'il avait prononcé dans les trois dernières heures. Se passait la langue sur les dents la bouche fermée, cherchant un bout de salade, se passait les mains sur le visage, sous le nez, à la recherche d'indices donnant lieu à moquerie. Il cherchait sur sa veste, son pantalon, sa chemise... ce qui pouvait donner lieu à ce sourire. " Il est en train de se moquer ce petit con " se disait-il. Puis, gêné, il tapota de ses doigts sur la cuisse pour accompagner le rythme de la musique. Et l'autre, Harry, de sourire, encore et toujours.

- Qu'est-ce qu'y a encore ? interrompit Stephan, allez vide ton sac !

- Rien du tout, se surprit Harry.

- Alors pourquoi tu rigoles ? Tu te fous de moi ?

- Meuh non, penses-tu, c'est intérieur, c'est à cause de mon chat.

- Qu'est-ce qu'il a ton chat ?

- Mon chat ? Bah mon chat va bien... enfin... bon, okay, se résolu Harry, c'est le moment des amours, et pendant toute cette semaine j'ai pu l'observer avec la Gwendoline, une femelle qui traîne dans le patelin, et un autre mâle. Bah mon chat c'est un looser ! Il perd toujours face à l'autre. Il passe son temps en retrait, à quoi... 5 mètres de l'accouplement, couché à chialer de frustration et de jalousie.

- Mouais, ça doit être drôle, acquiesça Stephan.

- Il est vraiment comme son maître mon chat, un looser !

- Ah bon ? J'ai jamais vu un type avec autant de conquêtes que toi.

- Tu parles ! Samedi je me suis fait plaquer par une jeunette de 30 ans ! Il est beau le Don Juan ! Trop vieux qu'elle a dit. Que 'je ne m'emboîtais pas dans son plan de vie' qu'elle a dit, en plus elle aimait pas ma fille... qui lui rendait bien, alors c'était vite réglé.

- T'étais plus avec Véronique ?
- Bah non on s'est séparés en janvier.
- Désolé, je savais pas.
- Comment pourrais-tu ? Enfin bref, je suis sorti avec cette fille, on s'entendait bien et tout, mais voilà... samedi dernier elle m'a laissé. Cela dit, je crois que ça m'arrange bien, j'ai plus trente ans, j'arrivais plus à suivre le rythme... Elle m'a laissé pour un type de son âge.
- C'est dur ça...
- Mouais, t'as bien de la chance d'être avec Alfreda !
- Et voilà c'est reparti !
- Quoi ?
- Je ne veux plus que tu prononces son nom ! Tu ne peux pas t'en empêcher de te moquer ! Tu sais que tu lui as fait du mal l'autre fois avec ta blague pourrie au téléphone ? Elle a passé un mauvais réveillon. A cause de tes conneries...
- Bon, on va se mettre d’accord, 1) si je t’ai appelé ce jour là c’est pour te prévenir pour ton portable, 2) si je devais lui faire un canular, je te mettrais dans le coup, 3) même si je voulais le faire seul ce canular, j’aurais pas laissé s'afficher mon numéro sur le portable comme un bleu ! Capiché ?

Et ce fut le dernier mot qui fut prononcé par Harry. “Capiché”

Ensuite, ensuite Harry a été interrompu par la balle qui l'a atteint à l'épaule après avoir cassé son carreau.

On l'a su 2 heures après, Stephan et Harry son décédés lorsque la voiture a percuté un arbre 50 mètres plus bas.

F I N

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